30/10/2015

Effacement des ouvrages d'Essarois: 400.000 euros pour quels résultats?

Autorités et gestionnaires de l'eau vantent souvent les travaux de restauration morphologique comme ayant des effets "très positifs" sur la rivière et ses milieux. C'est le cas du Sicec et de l'Onema pour l'effacement des forges d'Essarois (21) sur la Digeanne. Que révèle en réalité le bilan détaillé de ces travaux ayant coûté 400 k€ (dont 90% de financement public)? Une simple variation de la densité et biomasse locales d'espèces piscicoles qui ne sont par ailleurs pas particulièrement menacées sur le bassin. A ce bilan halieutique modeste répondent en revanche des effets négatifs purement et simplement ignorés dans les politiques de l'eau : disparition du patrimoine historique et du potentiel énergétique, qui sont pourtant eux aussi des questions d'intérêt général pour le territoire. Le bilan nous paraît donc assez clair: il ne faut surtout pas généraliser de telles opérations!




En 2012 et 2013, les anciennes forges d'Essarois ont fait l'objet de travaux avec renaturation de la rivière (Digeanne, affluent de l'Ource). Trois ouvrages hydrauliques ont été effacés, le bief a été comblé sur 800 m, la rivière a été reméandrée sur 1500 m avec une buse large de passage sous un ouvrage. Le coût total de ces travaux a été de 400.000 euros, dont 90% sur financement public et 10% pour le propriétaire, un exploitant agricole. La figure ci-après indique la nature des travaux.


Un premier bilan écologique des opérations a été réalisé en 2014 par l'Onema. Ce bilan a été limité à l'état piscicole d'une partie du tronçon sans information sur l'état chimique de la rivière ni sur les autres indicateurs biologiques (invertébrés, macrophytes, diatomées). La pêche de contrôle de mai 2012 a été comparée à la pêche de juillet 2014 (décalage rendant incertain la comparaison des alevins après les éclosions de printemps). Nous publions quelques graphiques commentés, extraits de l'analyse de l'Onema.


Au total, la zone étudiée comporte 16 espèces (ci-dessus). Le peuplement piscicole est dominé par la truite, le vairon, le blageon et l'épinoche, suivi par le chabot et la loche. Ce peuplement est conforme à la typologie du cours d'eau (définie principalement par sa pente, sa température, sa distance à la source et son hydro-écorégion).


Ces deux graphiques comparent la richesse spécifique (en haut) et la densité / biomasse (en bas) des différentes stations d'étude. Sur la seule station comparable (Digeanne amont), on observe une baisse de richesse spécifique, de densité et de biomasse. Sur le principal objet des travaux (Digeanne travaux aval), on observe une richesse spécifique, une densité et une biomasse appréciables tenant à la colonisation rapide du nouveau milieu.

Dans le cas particulier de la truite, les observations convergent avec le graphique précédent : une petite baisse dans la station Digeanne amont, une hausse à l'aval. L'analyse détaillée des peuplements de truite (non représenté) montre une forte présence des alevins dans la zone des travaux aval, ce qui indique une colonisation du linéaire restauré par cette espèce.

Un bilan très positif pour l'Onema, mais très discutable selon nous
L'Onema considère que le bilan de l'effacement de la forge d'Essarois est "très positif", tout en posant la réserve d'un suivi dans la durée pour vérifier l'évolution des peuplements. Pour notre part, nous jugeons très discutable l'intérêt des travaux d'Essarois et la qualité du bilan (incomplet) qui en est fait par le Sicec. En voici les raisons :

  • le bilan chimique et physico-chimique de la rivière n'est pas réalisé, nous ne savons pas ce qu'il en est des nitrates, HAP, MES et autres facteurs connus pour dégrader l'eau du bassin Seine-amont et Ource;
  • plus généralement, l'analyse du tronçon avant / après au regard de l'éligibilité au bon état et chimique DCE 2000 n'est pas réalisée, donc nous ne savons pas si les travaux ont eu un impact sur ce qui est la seule obligation réelle de la France vis-à-vis de l'Europe;
  • aucune des espèces concernées par le tronçon n'est menacée dans le Châtillonnais ni dans le bassin de l'Ource, il n'y a donc pas d'urgence particulière à leur conservation (par rapport à d'autres espèces classées comme vulnérables ou à des grands migrateurs ayant disparu des cours d'eau);
  • il est attendu que l'ouverture d'un nouveau milieu produise un effet de colonisation (le contraire aurait été surprenant), mais l'examen des chiffres montre que le gain effectif reste faible (quelques dizaines à centaines d'individus) au regard des travaux conséquents;
  • l'argent public a servi à faire disparaître un témoin du patrimoine historique du Châtillonnais, en l'occurrence les éléments hydrauliques de ce qui fut la première forge à retour d'air chaud de Bourgogne. Sur place, rien n'a été fait pour valoriser l'intérêt patrimonial des ouvrages résiduels (qui sont invisibles et inaccessibles) ni au demeurant pour des activités récréatives ouvertes au public. La forge d'Essarois avait pourtant été reconnue pour l'"ancienneté exceptionnelle de ses vestiges" et la "continuité remarquable de son activité industrielle" (Benoit 1988)  ;
  • l'argent public a servi à faire disparaître un potentiel énergétique de production d'électricité bas-carbone, alors même que le réchauffement climatique est considéré par les chercheurs comme premier facteur de changement de peuplement piscicole dans le siècle à venir.
L'effacement des ouvrages hydrauliques da la forge d'Essarois et la renaturation de la rivière Digeanne sur 1500 m de linéaire sont représentatifs des travaux actuels de restauration de l'habitat en cours d'eau, présentés par les syndicats de rivière ou les autorités comme des initiatives de première importance pour les milieux. En réalité, si ces travaux ont certainement des effets positifs sur le milieu local et pour certains espèces inféodés aux eaux vives, leur impact reste néanmoins très limité et ne correspond à aucune urgence écologique. La dépense conséquente d'argent public ne fait pas l'objet d'une analyse coût-avantage, alors même qu'elle a des effets manifestement négatifs sur d'autres dimensions de la rivière (patrimoine, culture, énergie). S'il y a donc un enseignement d'Essarois, c'est que la généralisation de telles initiatives représenterait un coût disproportionné au résultat écologique et un choix public déséquilibré par rapport aux autres enjeux d'intérêt général liés à nos cours d'eau.

Références citées
Benoit S (1988), Patrimoine sidérurgique en Bourgogne du Nord : Guide de découverte, Association pour la sauvegarde et l'animation des forges de Buffon, 56 p.
Bouchard J et al (2014), Diagnostic piscicole de la Digeanne à Essarois suite aux travaux de restauration hydromorphologique, Onema, 27 p.
FDAAPPMA 21 (2011), Etude des peuplements macrobenthique et piscicoles de l'Ource et de ses affluents au regard de la qualité physique et chimique de l'hydrosystème, 110 p.

Illustrations : photographie par C Jacquemin / Arpohc ; graphiques issus du rapport Onema.

1 commentaire:

  1. Les 400 000 € auraient étaient mieux utilisé à RECEY SUR OURCE pour réaliser:
    1/un système de traitement des eaux usées (station d'épuration et/ou fosse septiques). Quand vous achetez aujourd'hui une habitation à Recey il est écrit "tout à l'égout" dans l'annonce alors qu'il n'y a pas de traitement des ces égouts.
    2/une déviation du "Lac PARISOT" (étang envasé) qui perturbe énormément le lit naturel de l'Ource (réchauffement de 10°C). Le réchauffement de l'eau a réduit dans de très grande proportion la quantité de truites.

    RépondreSupprimer