31/05/2016

La petite hydraulique en 1927 et aujourd'hui

Entre 1927 et aujourd'hui, la puissance installée de la petite hydro-électricité a augmenté. Mais le nombre de sites produisant à partir de l'énergie hydraulique (électrique et non-électrique) a quant à lui chuté d'un facteur 10. Les sites se sont donc modernisés, mais concentrés. La plupart des ouvrages étant encore en place, il existe un potentiel de développement hydro-électrique bien réparti sur l'ensemble du territoire national, en autoconsommation comme en injection réseau. A l'heure où la France souhaite développer des alternatives aux sources fossiles et fissiles, faire émerger des projets hydrauliques locaux doit devenir une option à part entière de la politique énergétique et climatique des territoires.


En 1927, la France totalisait 345 usines hydro-électriques entre 150 et 1000 kVA (puissance totale installée 110,03 MW), 3905 usines de moins de 150 kVA (puissance totale 79,80 MW) et 29253 moulins et usines à eau non électriques (puissance totale 396,90 MW). Par ailleurs, il y avait déjà plus de 700 usines hydro-électriques d'une puissance supérieure à 1000 kVA (totalisant 954,90 MW de puissance, non représentées dans le tableau ci-dessous). Cliquer l'image pour agrandir ou télécharger, et voir l'équipement de votre département en 1927.


On peut observer les points suivants :
  • si des grands barrages hydro-électriques ont été construits après 1927, une bonne part de la puissance installée était déjà en place au premier tiers du XXe siècle;
  • en tendance, le nombre d'usines hydro-électriques a plutôt baissé entre 1927 et aujourd'hui (on estime qu'il y a environ 2500 producteurs de petite puissance injectant sur le réseau), mais la puissance de ces petits producteurs a augmenté (de l'ordre de 2000 MW aujourd'hui);
  • il existerait sur les rivières françaises entre 100.000 et 120.000 obstacles à écoulement dont 60.000 à 80.000 seraient des seuils de moulins ou barrages d'usages divers. Le potentiel de développement de la petite et très petite hydro-électricité sur ces ouvrages déjà en place reste donc important sur le territoire national;
  • la puissance mobilisable par la petite hydro-électricité est modeste (hors hypothèse de nouvelles constructions), mais elle a sa part dans le mix desterritoires à énergie positive, appelés à limiter leur consommation et à déployer de manière complémentaire toutes les ressources renouvelables disponibles localement (éolien, solaire, hydraulique fluviale et marine, biomasse, géothermie);
  • restaurer, moderniser et équiper progressivement le patrimoine hydraulique français, le rendre à cette occasion ichtyophile et mieux géré écologiquement, voilà un programme plus intelligent, plus durable et plus constructif que sa casse organisée sur argent public et pression de lobbies minoritaires. D'autant que cette source d'énergie a su montrer au fil du temps une bonne acceptabilité sociale et une compatibilité avec les autres usages des rivières où elle est installée.

Source : Ministère des travaux publics, Service central des forces hydrauliques et des distributions d'énergie électrique (1931), Statistique de la production et de la distribution de l'énergie électrique en France, Impr. nationale (Paris)

Découvrir la petite hydraulique
Les moulins à eau et la transition énergétique: faits et chiffres 2015

30/05/2016

Cartographie: l'administration persiste à classer les biefs comme cours d'eau, et non canaux


D'après nos premiers échanges avec les DDT de la Nièvre et de la Côte d'Or, ainsi que les retours sur l'Yonne, l'administration veut qualifier comme "cours d'eau" les biefs et canaux des moulins, à l'exception de ceux qui alimentent des usines hydro-électriques en activité. Nous refusons cette qualification comme contraire à la jurisprudence et au projet de loi biodiversité s'en inspirant, mais aussi comme source de multiples problèmes à venir pour l'entretien déjà complexe des biefs et des ouvrages hydrauliques. Dans cet article, nous montrons que la prétention du Ministère de l'Environnement à désigner comme cours d'eau un bief qui capte la majeure partie du débit repose sur une base jurisprudentielle particulièrement fragile. Les propriétaires de biefs doivent signaler dès à présent leur désaccord aux DDT-M.

Rappel : par instruction du 3 juin 2015, le Ministère de l'Environnement a demandé aux préfets de procéder à une cartographie des rivières, afin de définir ce qui est un cours d'eau et ce qui ne l'est pas (fossés, canaux).

Enjeu : être considéré comme "cours d'eau" implique des règles particulières d'entretien des berges et du lit, notamment des dossiers d'autorisation avec étude d'impact et enquête publique si le linéaire concerné par les travaux dépasse 100 m. Par ailleurs, la notion de cours d'eau est liée à des enjeux connexes (débit réservé, continuité écologique).

Problème : alors que la jurisprudence du Conseil d'Etat (21 octobre 2011, n°334322) pose comme l'une des conditions nécessaires d'existence d'un cours d'eau "un lit naturel à l'origine", l'instruction du 3 juin 2015 a tenté d'élargir la notion aux biefs et canaux en posant : "Ce critère ne doit pas par ailleurs faire perdre de vue que, en fonction des usages locaux, des bras artificiels (tels que des biefs) laissés à l’abandon et en voie de renaturation peuvent être considérés comme des cours d’eau. De même si un bras artificiel capte la majeure partie du débit, au détriment du bras naturel (et remettant en cause le critère de permanence de l’écoulement) le bras artificiel pourra être considéré comme cours l’eau."

Pour appuyer la position selon laquelle la "renaturation" ou "l'abandon" serait un motif de qualification de bief comme cours d'eau, l'instruction du 3 juin 2015 ne cite aucune loi ni aucune jurisprudence. Nous considérons donc cette proposition comme non recevable au plan juridique. (De surcroît, nous observons que l'administration tend à classer tous les biefs comme cours d'eau, même ceux qui sont toujours entretenus à fin hydraulique ou paysagère.)

Pour affirmer qu'un bief qui "capte la majeure partie du débit" doit être regardé comme un cours d'eau, l'instruction cite un arrêt de la Cour d'appel administrative de Bordeaux. Or cette base jurisprudentielle est fragile, et non unanime, comme nous allons le voir. Avant de l'examiner, rappelons que le poids d'une décision de justice sur la doctrine juridique est d'autant plus fort que l'instance est élevée dans l'ordre judiciaire : ce sont d'abord les décisions du Conseil constitutionnel, du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui permettent d'asseoir les interprétations jurisprudentielles du droit. Or, ces décisions restent rares sur la question de la définition de ce qu'est un cours d'eau (par opposition au fossé ou au canal). Il est inexact de prétendre qu'une abondante jurisprudence aurait déjà réglé la question: cette dernière reste encore une friche normative, et la prudence s'impose quand le Ministère prétend avancer trop rapidement sur ce terrain.



Dans l'arrêt n°10BX00470 mis en avant par l'instruction du Ministère de l'Environnement, la Cour administrative d'appel de Bordeaux juge en 2010 un litige de riverain sur la répartition de l'écoulement des eaux entre un canal de dérivation et un canal de déversoir. Dans ses attendus, la Cour pose les observations suivantes :

"Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le moulin de Mauvezin d'Armagnac, mentionné sur la carte de Cassini, est alimenté par les eaux de la Douze grâce à la présence, à environ 500 mètres en amont du moulin, d'un seuil de dérivation dont l'objet est d'empêcher les eaux, lorsque les vannes sont fermées, d'emprunter la partie basse de la vallée afin qu'elles se dirigent vers le canal d'amenée, situé dans l'axe de la rivière ; que, depuis que ce seuil existe, et en dehors des périodes limitées où les vannes sont ouvertes soit en période de crues soit pour permettre l'entretien des ouvrages du moulin, les eaux de la rivière s'écoulent pour l'essentiel dans le canal d'amenée du moulin ; que ce canal, affecté à l'écoulement normal des eaux de la Douze, cours d'eau non domanial, est ainsi, lui-même, un cours d'eau non domanial ; que, toutefois, il ressort également des pièces du dossier que les eaux en provenance du canal d'amenée, si elles ne s'écoulent désormais plus que marginalement par le canal de fuite, s'écoulent normalement par le canal de décharge ou canal déversoir, de sorte que, s'ils ont entraîné une modification de la répartition des eaux de la Douze entre le canal de fuite et le canal de décharge de l'ancien moulin, les travaux réalisés par les consorts A n'ont pas affecté le libre cours des eaux de cette rivière ; que, dans ces conditions, en ne faisant pas usage des pouvoirs de police qu'il tient des dispositions de l'article L. 215-7 du code de l'environnement pour assurer le libre cours desdites eaux, le préfet des Landes n'a pas fait une inexacte application de ces dispositions."

Bien que la question soit évoquée dans le considérant de la Cour, le point principal examiné par les magistrats n'est pas ici de savoir si le canal est bien un cours d'eau. A la suite de travaux sur un moulin, le débit du canal de fuite a été limité au profit d'un canal de déversoir, et la plaignante situé à l'aval demande le rétablissement du débit initial. Elle sera déboutée. Cela implique que le juge estime que le libre écoulement des eaux dans le canal n'est pas impératif (ce qui aurait été le cas si le canal de fuite était une rivière pleinement reconnue comme telle) et qu'une dérivation latérale (par le déversoir) est possible en l'espèce.

Il est donc difficile d'interpréter ce jugement comme une définition normative du canal comme cours d'eau, ce que suggère la lecture très interprétée de la circulaire du 3 juin 2015.

Dans l'ordre civil et judiciaire, la Cour d'appel de Limoges, par l'arrêt récent n°14/00712 du 29 juin 2015, examine en revanche de manière beaucoup plus directe la question de savoir si un canal de moulin ou bief est assimilable à un cours d'eau. Dans cette affaire, les plaignants se divisent sur le fait de définir un bief comme bras de rivière afin de déterminer son régime de propriété.

"En l'espèce, il apparaît à l'examen du plan cadastral que le cours d'eau en litige est bienune dérivation de la Tardoire qui a été créée pour alimenter le moulin vers lequel il se dirige directement (canal d'amenée) puis pour permettre à l'eau de revenir dans le lit de la rivière (canal de fuite).

Ce canal de dérivation qui a été créé par la main de l'homme et qui est bordé de poteaux qui servent à conforter les berges traverse la propriété des époux Z... et, seulement sur une partie de son cours, longe les parcelles E 147, E 148 et E 149 appartenant aux consorts X... Y... qu'il sépare de la parcelle D 530 de leurs voisins qui, elle englobe la totalité de la dérivation et est bordée, sur sa partie sud, par le véritable cours de la Tardoire.

Cette dérivation a été créée, jadis, pour desservir le mécanisme hydraulique du moulin dont elle était un accessoire. Ce terme de 'dérivation' est utilisé par les autorisations administratives données aux époux Z... pour le curage du bief.

Dans une lettre du 28 novembre 2007, la DDA de la Haute Vienne, Service de l'eau, de l'environnement et de la forêt, précise bien que ces ouvrages 'ne sont pas situés sur le cours d'eau' ; elle autorise M. Z... à procéder au curage du 'tronçon dérivé au lieudit …' en indiquant qu'il s'agit du curage des canaux d'amenée et de fuite ; l'autorisation est donnée sous réserve de 'ne modifier ni l'ouvrage de dérivation des eaux, ni le point de restitution'.

Ainsi, pour l'autorité publique, le cours de la Tardoire ne se confond pas, contrairement à ce que soutiennent les appelants, avec le canal dérivé qui se situe entre 'l'ouvrage de dérivation', situé à l'Ouest de la parcelle D 530 des époux Z..., et le 'point de restitution' qui se situe à l'Est de cette parcelle.

Par ailleurs l'administration reconnaît que la dérivation qui avait pour vocation d'alimenter le mécanisme du moulin inclut 'les canaux d'amenée d'eau et de fuite'. Certes ces autorisations ont été délivrées sous réserve du droit des tiers. Il reste que, comme le fait l'observation de la configuration des lieux, elles confortent le sens qu'il convient de donner au mot bief qui est utilisé dans l'acte du 3 février 1983 par lequel les époux Z... ont acquis leur fond.

Cet acte est un titre de propriété qui, lui, est opposable aux consorts X...- Y... et il résulte des observations ci-dessus que le bief mentionné dans ce titre est bien l'intégralité de la dérivation qui traverse la parcelle D 530 des époux Z... en longeant une partie de la propriété des intimés, dérivation qui inclut les canaux d'amenée d'eau et de sortie.

Il est indifférent qu'un acte du 3 décembre 1923 par lequel l'auteur des appelants, M. E..., a acquis de la société MOREAU un jardin anciennement cadastré P 52 qui correspondrait aux actuelles parcelles E 148 et E 149 décrive ce jardin comme joignant la 'rivière Tardoire'.

Cette désignation qui est erronée dans la mesure où le canal qui longe les parcelles E 148 et E 149 est en réalité une dérivation de la rivière créée artificiellement pour le service de l'ancien moulin n'a pas pu faire acquérir de droit au propriétaire desdites parcelles sur le cours d'eau improprement qualifié de rivière."

La Cour d'appel de Limoges précise donc bien que le riverain d'un bief ne peut prétendre acquérir des droits propres à la riveraineté d'un cours d'eau, en raison du  caractère artificiel de la dérivation, que l'on ne peut assimiler à une rivière. On observe au demeurant qu'en l'espèce, les services administratifs ont correctement qualifié le canal dans leurs procédures.

Conclusion
Les moulins et usines à eau ont, depuis 10 ans, une mauvaise expérience des interprétations administratives de la loi. Il faut donc identifier et clarifier rapidement ce qui ne manquera pas d'être source de problèmes futurs. C'est le cas avec l'assimilation indue des canaux et biefs à des cours d'eau. Cette position actuellement soutenue par l'administration pour la majorité des biefs est de nature à soulever des conflits locaux d'interprétation. A titre d'exemple, si le bief est un cours d'eau, le débit réservé ou débit minimum biologique ne s'applique plus nécessairement (puisque le bief est un bras de rivière au même titre que le bras naturel court-circuité), l'exigence de continuité peut s'étendre au bief lui-même (pour la même raison), des opérations d'entretien comme le curage peuvent demander des mois d'instruction préalable en dossier d'autorisation "loi sur l'eau", etc. Arrêtons ces usines à gaz et à contentieux : le droit de l'eau a besoin de clarification, la gestion des ouvrages hydrauliques, déjà difficile, deviendra impossible si l'on ne met pas un frein aux exigences toujours plus tatillonnes venues des bureaux de la Direction de l'eau et de la biodiversité.

Il est nécessaire de protéger les milieux naturels, il est utile de définir de bonnes pratiques d'entretien des canaux, il est délétère de confondre ces deux besoins dans une réforme illisible pour les usagers.

Illustration : la prise d'eau d'un bief. Celui-ci est un canal artificiel et ne peut être assimilé à un cours d'eau, ce qui est non-conforme à la jurisprudence du Conseil d'Etat ("lit naturel à l'origine") et ce qui aurait pour effet de rendre bien trop complexes certaines tâches usuelles d'entretien. Le droit de l'eau, en particulier le droit des travaux et ouvrages hydrauliques, a besoin de simplification et de réalisme, pas de complications inutiles ni d'exigences disproportionnées.

A savoir : nous allons débattre de ces questions, comparer les pratiques administratives et indiquer la marche à suivre lors de nos 4es rencontres hydrauliques du 25 juin (débats de l'après-midi).

26/05/2016

"La destruction des moulins au nom de la continuité écologique est allée trop loin" (MC Blandin)

Lors des échanges sénatoriaux sur la loi Patrimoine, même la représentante du groupe écologiste (Marie-Christine Blandin) reconnaît désormais que la destruction des moulins au nom de la continuité des rivières donne lieu à des excès. Le Sénat a fait une proposition de modification des articles L 211-1 et L 214-17 CE dans un sens plus respectueux du patrimoine. Une avancée si la Commission mixte paritaire le confirme, mais une avancée trop modeste: elle ne répond pas aux enjeux imminents de fin du délai réglementaire de mise en conformité (2017 ou 2018 selon les bassins) ni à la forte pression en faveur des effacements encore à l'oeuvre sur nos rivières. Les représentants des citoyens doivent prendre toute la mesure des évolutions nécessaires pour démocratiser, crédibiliser et solvabiliser la réforme de continuité écologique.




Voici un extrait des discussions au Sénat sur l'article 33 bis de loi Patrimoine en cour de discussion.

M. Alain Marc . - Cet article est relatif au troisième patrimoine bâti de notre pays, celui des moulins, menacé par l'application excessive du dogme de la continuité écologique. Heureusement, sa rédaction est mesurée.(...)

Mme Marie-Christine Blandin. - La destruction des moulins au nom de la continuité écologique est allée trop loin, je suis la première à le reconnaître, mais attention à ne pas verser dans l'excès inverse ! Un travail de fond est en cours avec le ministère de l'environnement et le CGEDD. En tout état de cause, la nouvelle lecture de la loi Biodiversité reviendra sur cet article qui ne contribuera en rien à l'entretien et à l'équipement des moulins en passe à poissons.

Mme Françoise Férat, rapporteur. - Cet article concilie préservation des moulins et continuité écologique des cours d'eau. Bien rédigé pour être limité aux moulins et non étendu aux barrages, il est équilibré : avis défavorable.

Mme Audrey Azoulay, ministre. - Même avis ; un travail de fond est en effet en cours depuis plusieurs semaines avec la fédération des moulins et le ministère de l'environnement.

M. Jean-Pierre Sueur. - Mme Blandin a tenu des propos nuancés et très justes. Mais nous avons, avec nos moulins, un patrimoine remarquable - ceux du Loiret sont admirables ! - que cet article protège.

M. Pascal Allizard. - Il s'agit, en cette matière, de transposer une directive européenne... Son application stricte par les agences de l'eau les conduit à rembourser aux propriétaires privés la destruction de leur moulin. Nous pourrions faire preuve de plus de discernement.

M. Éric Doligé. - J'appuie la position de la commission et du Gouvernement. Dans ma commune et la commune voisine, 39 moulins à eau fonctionnent toujours : c'est la plus grande densité nationale. Les supprimer bouleverserait les cours d'eau.

M. Jean-Pierre Sueur. - Ceux de Meung-sur-Loire sont splendides.

M. Gérard Bailly. - Respectons ce que nos aïeux ont construit, qui constitue aujourd'hui notre patrimoine. On compte 1 200 chutes d'eau dans mon département de montagne ; elles étaient jadis des lieux d'implantation de scieries, et l'eau y était belle et poissonneuse. Favorisons donc le petit hydraulique. Les retenues d'eau sont aussi des sources potentielles d'énergie renouvelable !

Mme Marie-Christine Blandin. - Je fais confiance au groupe de travail. Mon intention n'était pas de détruire les moulins. Et je remercie les nombreux défenseurs de la planète qui se sont manifestés à propos des éoliennes tout à l'heure...

Deux modifications du Code de l'environnement proposées
A ce jour, deux modifications ont été adoptées par le Sénat sur les articles L 211-1 et L 214-17 du Code de l'environnement.

L’article L211-1 est complété par un III ainsi rédigé :
«III. – La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l’utilisation de la force hydraulique des cours d’eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme.» ;

L’article L214-17 est complété par un IV ainsi rédigé :
«IV. – Les mesures résultant de l’application du présent article sont mises en œuvre dans le respect des objectifs de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme.»

La prochaine et dernière étape est l'examen par la commission mixte paritaire, qui se déroule à huis clos avec 7 députés et 7 sénateurs.

Comprendre la nature des problèmes, mieux représenter l'intérêt général
Nous approuvons bien entendu cette prise de conscience progressive des problèmes posés par la réforme de continuité écologique, et les évolutions conséquentes de la loi. Mais la protection du patrimoine ne résume pas tous les enjeux: pour prendre les bons choix, il faut aussi comprendre la nature exacte des problèmes. La continuité écologique prévue par les lois de 2006 et 2009 est un outil de gestion parmi d'autres des rivières et des territoires: ce sont les excès administratifs de sa programmation et l'inconsistance scientifique de sa mise en oeuvre qui produisent depuis 7 ans les problèmes.
  • Le France a classé bien trop de rivières et donc d'ouvrages (15.000) dans un délai bien trop court d'aménagement obligatoire (5 ans), ces chiffres n'ayant aucun réalisme par rapport à ce qui se pratique dans le reste du monde, aux capacités d'évaluation de chaque ouvrage dans des conditions correctes et au financement disponible.
  • Les aménagements de continuité écologique ont des coûts considérables (de dizaines à centaines de milliers d'euros par ouvrage, pour les plus modestes), raison pour laquelle les précédentes réglementations (issues du L432-6 CE) n'avaient déjà pas été appliquées. Les particuliers ne peuvent assumer de telles charges, les petites exploitations risquent la faillite. Soit on solvabilise la réforme en garantissant son financement public quasi-total dans le programme d'intervention des Agences de l'eau, soit on déclasse certaines rivières à enjeux mineurs pour revenir à un nombre de chantiers plus raisonnable à traiter. 
  • Une démarche progressive fondée sur l'incitation et le volontariat est préférable à une démarche agressive fondée sur l'obligation et la coercition. 
  • Du point de vue écologique, il existe un déficit de méthode scientifique dans la conception de la réforme et dans son application sur chaque site. Il n'est pas possible de continuer à dépenser ainsi l'argent public sans garantir pour chaque opération des objectifs précis de résultat, en particulier des gains mesurables sur les grands migrateurs menacés (saumons, anguilles, esturgeons) ainsi que sur les critères de bon état écologique et chimique au sens de la directive cadre européenne sur l'eau (DCE2000). Les seuils et chaussées de moulins, d'implantation ancienne et de dimension modeste, ne doivent pas être considérés comme des priorités d'aménagement morphologique des bassins fluviaux, sauf démonstration claire d'un impact particulier sur des espèces d'intérêt. Plus généralement, les milieux aquatiques ne sont plus des systèmes "vierges" ou "pristines", mais des milieux anthropisés depuis des millénaires : les pratiques de conservation ou de restauration doivent intégrer la contrainte de long terme dans leur programmation, au lieu d'une multiplication naïve et désordonnée de mini-chantiers sans objectif clair, sans cohérence de bassin et sans effet proportionné au coût engagé. 
  • Du point de vue démocratique, la France n'a pas vocation à choisir les voix extrêmes de la "renaturation" des cours d'eau ou du retour à des "rivières sauvages", comme certains l'envisagent. La rivière a de multiples usages et visages, écologique et halieutique bien sûr, mais aussi historique, économique, culturel, énergétique, paysager, récréatif, etc. La gestion durable et équilibrée de l'eau, souhaitée par le législateur, impose le respect des différentes représentations de la rivière, et la recherche de solutions socialement consensuelles tout en étant écologiquement efficientes.
Illustration : le moulin de Marrault, accolé à deux étangs d'Ancien Régime. La zone bénéficie d'une protection Znieff en raison des végétations spécialisées de zone humide et des nombreuses espèces d'oiseaux profitant des plans d'eau dans leur cycle de vie. Les aménagements hydrauliques apportent aussi des bénéfices pour les milieux, et leurs impacts s'ils existent sont généralement très modestes. Ce n'est donc pas une priorité pour la qualité de l'eau, à l'heure où notre pays est encore en retard sur des obligations plus anciennes de bon état chimique. Quant aux corridors biologiques, ils doivent être décidés et aménagés avec beaucoup plus de discernement que dans le classement massif des rivières de 2012-2013. Se faire plaisir par des effets d'annonce inconsidérés dans des lois ou des réglementations inapplicables faute de moyens financiers et de consensus sociaux ne produit au final que de la déception et du conflit, ainsi qu'une dépréciation de la parole institutionnelle. 

Techniques ordinaires de manipulation en évaluation écologique des seuils de moulins

Pour "sauver la rivière", il faudrait casser du moulin. Un objectif pudiquement rebaptisé effacement des obstacles à l'écoulement dans la novlangue administrative. Comment convaincre le bon peuple de cette assertion a priori grotesque? Les administrations tiennent un discours à charge sur les ouvrages hydrauliques — en particulier sur les plus modestes d'entre eux, car ce sont les plus simples à effacer. Voici une liste non exhaustive des petites manipulations ordinaires dans les diagnostics écologiques de ces ouvrages. Apprenez à les reconnaître, pour exiger de vraies analyses fondées sur la preuve, pas des réquisitoires alimentés par des données partielles, des convictions militantes ou des certitudes déplacées. 


Agences de l'eau et Onema dépensent l'argent des Français pour réaliser des petits clips publicitaires, comme celui-ci :

Parfait exemple d'anesthésie de l'esprit critique et de simplification à outrance de la question des ouvrages hydrauliques, par lequel on prétend faire de la "pédagogie", confondant ce beau mot avec celui, plus exact ici, de "propagande".

Ce genre de clip n'est toutefois que la partie émergée de l'arsenal de destruction massive des seuils et chaussées de moulins. Pour démontrer que le petit ouvrage hydraulique poserait de très graves problèmes aux milieux, il faut procéder à toutes sortes de manipulations. En voici quelques exemples parmi les plus fréquentes.

Assommer de mots compliqués, le "déficit sédimentaire en substrat à granulométrie grossière" étant autrement plus terrifiant et paralysant que "le lit manque un peu de gravier";

Ne pas chercher les données d'histoire environnementale, donc entretenir l'ignorance sur l'évolution dans la longue durée des espèces locales, notamment à l'époque des moulins en activité;

Ne pas donner des ordres de grandeur, donc avancer quelques chiffres isolés qui ne disent rien, car personne ne sait si le gain / la perte / l'impact est important ou négligeable;

Refuser de prioriser les besoins de conservation, alors que rares sont les espèces en réel danger d'extinction sur un bassin;

Exagérer les impacts environnementaux, en posant des exigences tellement maximalistes que seule la disparition du seuil rétablit les conditions demandées, cela bien que jamais des contraintes aussi fortes ne soient imposées à d'autres usages ou impacts;

Evaluer les hauteurs des chutes en basses ou moyennes eaux, en oubliant de dire que les crues noient les obstacles et/ou les contournent par le lit majeur, rétablissant régulièrement la franchissabilité;

Transformer toutes sortes de poissons en "migrateurs", sans rappeler que bon nombre peuvent vivre sur des territoires de dispersion de quelques centaines à quelques milliers de mètres;

Cacher les scores de l'Indice poisson rivière (IPR) ou encore affirmer que l'IPR n'est pas un bon indicateur, afin d'avoir toujours sous la main un critère plus extrême et plus contraignant de qualité à opposer;

Ne pas mesurer la biodiversité piscicole totale du tronçon, risquant de montrer que les retenues ajoutent des espèces de poissons, donc de la richesse spécifique, donc de la diversité;

Ne pas mesurer la biodiversité non piscicole du tronçon, alors que les poissons rhéophiles ou migrateurs représentent une toute petite partie de cette biodiversité;

Se référer à des biotypologies des années 1970, comme si la biomasse piscicole d'une rivière très peu anthropisée d'il y a 50 ans pouvait donner une référence réaliste;

Parler des "obstacles à l'écoulement" sans faire la différence entre des seuils de 1 m et des barrages de 5 m sur la franchissabilité, le débit, la charge solide, le remous, etc.;

Pratiquer l'omerta sur les grands barrages du bassin, car on serait obligé d'admettre qu'ils n'ont pas de projets d'aménagement piscicole ou sédimentaire autres que d'efficacité marginale;

Affirmer qu'il s'agit de restaurer de l'habitat, alors qu'en réalité on remplace un type d'habitat par un autre, et que des habitats différenciés sont généralement déjà présents sur le tronçon;

Minimiser les pressions du bassin versant (pollutions, autres impacts morphologiques), alors qu'elles limitent l'effet de tout effacement d'ouvrage;

Oublier les effets hydrologiques et thermiques du changement climatique, alors qu'ils sont les facteurs de premier ordre d'évolution biologique à échelle du siècle;

Ne pas donner d'éléments chiffrés et contextualisés, mais produire des avis subjectifs d'expert permettant de dire ce que l'on veut;

Faire au mieux un suivi court de 3-5 ans, alors que l'effet des restaurations tend à baisser dans la durée après une recolonisation initiale;

Focaliser sur la continuité longitudinale, en oubliant de dire que la continuité latérale produit davantage de diversité biologique dans les écotones du lit majeur;

Ne pas poser d'objectifs mesurables donc vérifiables de succès, ce qui évite d'avoir à répondre de ses actes une fois que l'on a tout cassé.

Cette liste n'est malheureusement pas exhaustive. Et elle ne concerne que l'aspect écologique : les mêmes administrations ne manifestent aucun intérêt pour la dimension culturelle, historique ou paysagère des ouvrages comme elles se moquent de poser la moindre contrainte d'efficacité économique à la dépense en faveur de l'environnement. Le contribuable paiera, le propriétaire paiera, peu importe si le gain est minime voire nul. La suppression de l'ouvrage hydraulique étant l'objectif (non avoué, mais posé dès le départ en petit comité), on pratique le cherry-picking, c'est-à-dire la sélection biaisée des seules données et argumentations qui vont aggraver le diagnostic. Apporter une vue plus nuancée et plus complète risquerait d'amener à conclure qu'une destruction n'est pas vraiment justifiée : c'est l'horreur, on avait prévu au départ de ne financer qu'elle, et les autres solutions sont souvent inabordables pour les petites collectivités ou les particuliers. Se pourrait-il même qu'un aménagement soit au fond inutile? Impossible de l'admettre, ce serait contredire 10 ans de bourrage de crâne et donner l'impression que l'on renonce, s'attirant les foudres de quelques extrémistes monopolisant l'expression militante de l'écologie.

Persister dans ces pratiques sans entendre la montée de leurs critiques (y compris venant du monde de la recherche, de manière de plus en plus explicite, voir ci-dessous), c'est le meilleur moyen de fâcher tout le monde avec la continuité écologique des rivières. Et de faire peser une suspicion de parti-pris idéologique sur l'action publique, dont l'approbation sur la question des effacements d'ouvrages hydrauliques tend désormais à se réduire à la claque pavlovienne et subventionnée des sections les plus intégristes de FNE ou de la FNPF. Ah non, soyons précis : quand on propose à l'élu local un plan complet de restauration paysagère avec des bénéfices pour les riverains et des intérêts pour les touristes, il peut être séduit. Sauf que cela coûte très cher, que ce n'est donc pas généralisable et que ce n'est plus vraiment une motivation écologique.

Pourquoi cette impasse? Parce que la réforme a été initialement portée et formatée par une toute petite poignée d'experts imposant des vues très particulières (angle conservationniste strict, centrage sur enjeu piscicole, paradigme contestable de "renaturation", modèles simplistes pression-réponse), ces contraintes démesurées sur les seuils en rivière étant également pour eux la revanche de 50 ans d'impuissance et de frustration face aux impacts agricoles, domestiques et industriels sur l'eau. Parce que des hauts fonctionnaires de la Direction de l'eau et de la biodiversité ont validé cette approche de manière autoritaire et précipitée, en souhaitant régler du même coup leur compte aux moulins et à la gestion des droits d'eau, jugée trop chronovore à l'heure de la réduction des budgets et des personnels.

Pourquoi cela perdure? Parce que le Ministère de l'Environnement a besoin de dire à l'Europe et à l'opinion qu'il agit, malgré la faible progression de la qualité de l'eau, parce que les Agences de bassins arrosent financièrement ces lubies et entretiennent une vaste cour dépendante des subventions, dotations ou marchés publics, parce que ces questions complexes dépassent le temps de cerveau disponible de la plupart des intervenants (voir cet excellent article), parce que l'Onema fonctionne comme une instance inattaquable au sein de l'évaluation administrative des enjeux malgré les excès manifestes de ses diagnostics dans certaines directions régionales, parce que les fédérations de pêche restent considérées comme "référentes" sur l'ensemble des milieux aquatiques malgré leur biais sectoriel et spécialisé, parce que le mot "écologie" paralyse toute objection et que l'écologie militante tend à galvauder ce que dit l'écologie scientifique, parce que détourner l'attention sur les ouvrages de moulin arrange finalement pas mal de gens, à l'heure où chacun se dit in pettoque les objectifs de qualité écologique et chimique DCE ne seront de toute façon jamais atteints en 2027.

L'étiage approche, et avec lui son nouveau cortège de destruction. Profitez-en pour diffuserla demande de moratoire sur les effacements d'ouvrage auprès des élus et des associations de votre territoire. Ecrivez à vos députés et sénateurs pour qu'ils interpellent la Ministre sur la poursuite de la casse inutile du patrimoine hydraulique. Et ne laissez pas faire de diagnostic de vos ouvrages sans exiger la prise en compte de l'ensemble des paramètres permettant d'estimer la gravité réelle de leur impact, ni prendre date par courrier recommandé à la Préfecture en cas de refus.

Plus de science, moins de dogmes !
Vous pouvez choisir de rester désinformé en regardant en boucle les clips de l'Agence de l'eau et de l'Onema, ou en lisant leurs rapports à charge. Vous pouvez aussi jeter un oeil à ce que disent réellement les travaux des chercheurs sur les milieux aquatiques et leur restauration physique: le bilan est autrement nuancé et prudent !
Christian Lévêque sur la continuité écologique: "un peu de bon sens et moins de dogmatisme"
Restauration de rivière, un bilan critique (Wohl et al 2015)
Rivières hybrides: quand les gestionnaires ignorent trois millénaires d'influence humaine en Normandie (Lespez et al 2015)
Les étangs piscicoles à barrage éliminent les pesticides (Gaillard et al 2016)
La restauration physique des rivières peine à prédire ses résultats (Muhar et al 2016)
Les analyses coût-bénéfice sont défavorables à la directive-cadre européenne sur l'eau (Feuillette et al 2016)
Faiblesse scientifique, dimension subjective et résultats incertains des chantiers de restauration de rivière en France (Morandi et al 2014)
Faible impact des barrages sur les poissons: nouvelle confirmation scientifique (Cooper et al 2016)
200 générations de truites dans un hydrosystème fragmenté (Hansen et al 2014) 
Les seuils dénitrifient les rivières (Cisowska et Hutchins 2016) 
Effet parfois positif des petits barrages sur la qualité piscicole de rivières nord-américaines (Holcomb et al 2015)
Diversité génétique et fragmentation des rivières (Blanchet et al 2010, Paz-Vinas et al 2013, 2015)
L'anguille et les obstacles à sa migration à travers les âges (Clavero et Hermoso 2015)
L'introuvable influence des seuils et barrages sur les peuplements piscicoles (Radinger et Wolter 2015)
Aucune influence des seuils et barrages sur la distribution des poissons en rivières portugaises (Branco et al 2012) 
Les barrages des moulins ont-ils autant d'effets sur la rivière que ceux des... castors? (Hart et al 2002)
Seuils et barrages ont un effet positif sur les pollutions azote et phosphore des rivières (Powers et al 2015)
Intégrité et diversité piscicoles: moins de 20% de la variance associée aux seuls barrages en rivière (Wang et al 2011)
Densité de barrages en rivières: 13e facteur seulement de dégradation piscicole (Villeneuve et al 2015) 
Nilsson et al 2014: pourquoi la restauration écologique des rivières produit-elle des échecs? 
Dahm et al 2013: encore une étude scientifique observant le faible impact de la morphologie sur la qualité piscicole
Impact nul sur la biodiversité et faible sur la qualité piscicole: une étude scientifique sur les barrages questionne les idées reçues (Van looy et al 2014) 

Deux synthèses à diffuser
Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques"
Idée reçue #08 : "Les opérations de restauration écologique et morphologique de rivière ont toujours de très bons résultats"

23/05/2016

Les vrais blocages de la continuité écologique: un collectif d'associations s'exprime

Lettre ouverte au CGEDD

En décembre 2015, Ségolène Royal a envoyé une lettre de mission au CGEDD en vue de clarifier les "blocages" liés à la continuité écologique. La Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Environnement laisse régulièrement entendre que la continuité écologique rencontrerait des problèmes mineurs d'application, liés à quelques "incompréhensions" avec les moulins en bonne voie d'être dépassées. C'est faux. La réforme n'est pas appliquée sur la majorité des sites concernés, et elle n'est pas applicable en raison des seuls choix laissés par l'administration: la destruction des ouvrages ou la ruine économique. Jamais une mesure aussi brutale et discriminatoire vis-à-vis de particuliers ne serait tolérée dans un autre domaine. A cela s'ajoute l'inefficacité écologique de la réforme : implantés depuis des siècles, les seuils de moulin (80% des obstacles concernés par la continuité écologique) représentent un enjeu très mineur au plan environnemental, voire apportent des bénéfices aux milieux aquatiques tels qu'ils ont évolué. Leur destruction n'a aucune chance de produire le bon état écologique et chimique de l'eau exigé par l'Union européenne, demandant une lutte prioritaire contre les pollutions. Les associations ayant déjà étépartiellement censurées dans le rapport parlementaire Dubois-Vigier, elles ont décidé de prendre les devants et de rendre publique cette lettre collective envoyée au CGEDD sur les vrais blocages de la continuité écologique. L'administration peut décider une nouvelle fois de taire, euphémiser ou nier les problèmes que nous lui soumettons. Elle peut aussi choisir de les reconnaître et de chercher des solutions. Nous jugerons de sa capacité d'écoute et de proposition à la publication du rapport du CGEDD. 



Madame, Monsieur,

Par courrier du 9 décembre 2015, Mme la Ministre de l’Environnement a souhaité que le CGEDD fasse le point sur la continuité écologique, à savoir un «état des lieux précis et une analyse de l’ensemble des blocages et des sites conflictuels, liés en particulier à des moulins, afin de faire des propositions pour faciliter le consensus autour de la mise en conformité des seuils et barrages en rivière».

Il a semblé aux signataires de cette lettre que le meilleur moyen de permettre un «état des lieux précis» est d’y contribuer en vous faisant part de nos expériences d’associations de défense des moulins, des riverains et des cours d’eau. Nous sommes en effet en première ligne de la mise en œuvre de la continuité écologique depuis le PARCE 2009.

Certains documents, comme le récent rapport parlementaire d’information Dubois-Vigier sur les Continuités écologiques aquatiques, n’ont qu’imparfaitement repris les témoignages de terrain des associations. En particulier, il subsiste une idée fausse : le problème viendrait d’un déficit de «compréhension» ou de «pédagogie» chez ceux qui subissent les conséquences de la réforme de continuité écologique. C’est inexact : depuis la loi de 2006 et le classement de 2012, les associations développent une veille technique et scientifique, analysent la réalité des chantiers, vérifient l’arrière-plan réglementaire, légal et jurisprudentiel, échangent sur les sites concernés avec l’administration, les élus et d’autres parties prenantes.

Nous sommes donc tout à fait capables de comprendre le programme de continuité écologique porté par l’administration française, mais nous pensons qu’il est structurellement défaillant à bien des égards dans sa mise en œuvre actuelle.

En particulier, voici les principaux « blocages » que nous constatons et dont nous espérons le dépassement.

Blocage n°1 : prime à la destruction des ouvrages, rupture de confiance
Alors que la loi demande que chaque ouvrage soit «équipé, entretenu, géré» (L 214-17 CE) ou que l’ «aménagement» soit mis à l’étude pour «les obstacles les plus problématiques» (article 29 - loi Grenelle 2009-967), les circulaires administratives (de 2010 sur le PARCE et de 2013 sur le classement) ont mis en avant l’«effacement» des ouvrages «sans usage» comme solution préférable. Cette menace de destruction partielle ou totale, avec remise en question de la consistance du droit d’eau et de l’identité du site comme moulin, est très mal vécue. Elle a rapidement dégradé la confiance vis-à-vis de l’administration (DDT-M, Onema, Agences de l’eau) ou des syndicats qui véhiculent ce message. En particulier, le fait que les Agences de l’eau financent à 80-95 % (selon niveau de priorité de la masse d’eau) les arasements ou dérasements (parfois même à 100 % dans des appels à projets exceptionnels), mais à 40-60 % seulement les dispositifs de franchissement bloque toute envie d’agir : nos adhérents ne veulent pas détruire leur bien, ils ne peuvent pas non plus s’engager dans un chantier hors de leur portée. Si aucune alternative n’est offerte, comment avancer ? Et comment interpréter cette attitude administrative autrement que comme une pression pour pousser chaque propriétaire à accepter malgré lui l’arasement ou le dérasement de son  ouvrage ?  Il ne sera pas possible d’obtenir une pleine participation des moulins à la politique des rivières sans que l’administration prononce d’abord une pleine reconnaissance de la légitimité et de l’intérêt de leur existence, dont se déduit la nécessité de ne pas les détruire et de mieux financer leurs aménagements s’ils sont nécessaires.

Blocage n°2 : coût exorbitant, consentement à payer quasi-nul pour une mesure d’intérêt général qui crée une servitude
Les dispositifs de franchissement ont des coûts élevés : des dizaines à des centaines de milliers d’euros. Même en cas de subvention partielle du financeur public, la somme restant due est exorbitante pour des particuliers (ou des petites exploitations). Il n’est pas possible pour la plupart de nos adhérents propriétaires de signer un projet dont l’issue peut être l’obligation d’assumer de telles charges. De surcroît, ces dispositifs de franchissement, quand ils sont justifiés au plan écologique par la certitude d’un gain piscicole réel et proportionné à la dépense, sont des mesures d’intérêt général, créant une servitude à vie de surveillance et d’entretien. Le consentement à payer de nos adhérents est donc à peu près nul, et beaucoup seraient de toute façon insolvables face à l’explosion du coût des chantiers en rivière. Ce problème n’est pas nouveau : aussi bien la loi de 1865 que l’ancien article L 432-6 CE ont souffert d’une non-application massive en raison des coûts importants des échelles à poissons et du scepticisme sur leur intérêt. Le problème est encore plus aigu aujourd’hui en raison du luxe de précautions environnementales et du surcroît de complexité technique présidant aux chantiers de franchissabilité des seuils et barrages. Dans ces conditions, pourquoi avoir classé entre 10.000 et 20.000 ouvrages à aménager en 5 ans (chiffre exact jamais communiqué), objectif manifestement irréaliste ? Pourquoi créer partout une pression largement artificielle d’urgence, pour des ouvrages souvent présents depuis des siècles ?  Sur cette question du financement, il faut ajouter le problème de l’opacité des évaluations administratives et de l’inégalité devant les charges publiques : sur des problématiques similaires, certaines Agences de l’eau financent plus généreusement des passes à poissons que d’autres, alors que la loi est commune à tous en France.

Blocage n°3 : ignorance des dimensions multiples de la rivière et de ses ouvrages (histoire, culture, patrimoine, paysage, loisir, énergie, tourisme, etc.)
La plupart de nos adhérents ont beaucoup investi pour préserver et restaurer des moulins qu’ils considèrent avant tout comme un patrimoine culturel rare, singulier, fragile. Tous les moulins ont une longue histoire, leurs propriétaires en sont fiers, les journées du patrimoine y ont un franc succès. A travers la continuité écologique, le discours public des ouvrages hydrauliques est aujourd’hui centré quasi-exclusivement sur les angles de l’hydromorphologie et de l’hydrobiologie. Ce sont des approches intéressantes et importantes de la rivière, mais elles ne sauraient prétendre épuiser tous les registres de la connaissance et de l’action (y compris au sein du registre écologique, les espèces piscicoles migratrices n’étant qu’une infime partie de la biodiversité aquatique). En plus d’être un fait naturel, la rivière est aussi un fait historique et un fait social : les cours d’eau ont commencé à être modifié substantiellement dès l’Âge du Bronze en Europe, avant même l’apparition des moulins. Les ouvrages hydrauliques, dont l’existence est pluriséculaire pour la plupart, ont des usages très divers, qui ne se réduisent pas aujourd’hui à la production d’énergie. Leur simple existence a une valeur intrinsèque au plan historique, culturel et paysager, et cette existence inclut nécessairement leur système hydraulique, la retenue d’eau et le bief. Le fait que les chargés de mission des Agences de l’eau comme les ingénieurs et techniciens de l’Onema, des fédérations de pêche ou des syndicats de rivière soient le plus souvent ignorants de (ou indifférents à) ces dimensions non-écologiques conduit à un dialogue de sourds et à une mise en œuvre déséquilibrée de la réforme. Propriétaires et riverains ont le sentiment que l’intérêt général n’est pas correctement représenté : pourquoi accorder tant de place à la vision particulière de certains représentants pêcheurs ou de certains militants écologistes, dont le discours est souvent très radical, et ne jamais associer les protecteurs du patrimoine technique, historique et rural, les sociétés des sciences locales, les animateurs culturels ou touristiques, les représentants des usagers des ouvrages et de leurs retenues ? Pourquoi faire si peu de cas de toutes les dimensions non-écologiques associées aux ouvrages, mais aussi aux rivières elles-mêmes et à leurs représentations sociales ?

Blocage n°4 : études de sites à charge, ne produisant pas une analyse complète ni des objectifs tangibles, ignorant les pollutions
On voit se multiplier sur les rivières des analyses de bureaux d’études (parfois de fédérations de pêche), au mieux par tronçon, le plus souvent par ouvrages isolés ou très petits groupes d’ouvrages — donc sans grande cohérence de continuité en terme hydrographique et sans prise en compte de certains effets cumulatifs (évolution de la cinétique de crue et du risque inondation, par exemple). Le contenu de ces études pose de très nombreux problèmes : biais manifeste en faveur des solutions radicales d’effacement préconisées par les Agences de l’eau (financeur principal des dites études), non prise en compte de solutions simples (ouverture de vanne, rivière de contournement existante), défaut de proposition d’indemnité alors que la perte de l’ouvrage, du bief en eau et du droit d’eau produit une importante moins-value foncière, absence d’état DCE de la masse d’eau, carence de mesures complètes de la biodiversité (ne se résumant pas aux poissons), prétention à « restaurer de l’habitat » (détruire la retenue) qui n’a jamais été l’objectif légal ni réglementaire du classement des rivières, non prise en compte ou sous-estimation de l’intérêt des ouvrages (épuration chimique, paysage des biefs et retenues, intérêt historique et culturel, etc.), absence d’évaluation ou minimisation des risques liés aux effacements (érosion régressive ou progressive, fragilisation berge et bâti, espèces invasives, sédiments pollués mais remobilisés, etc.). Dans la majorité des cas, l’approche morphologique ignore les dégradations physico-chimiques et chimiques de la masse d’eau (nitrates, pesticides, etc.), dont sont victimes les propriétaires d’ouvrages et qui sont les premiers facteurs limitants du bon état de la rivière.  De surcroît, ces travaux ne donnent aucun objectif écologique de résultat et ne promettent aucune mesure de suivi dans l’immense majorité des cas, donc ne permettent pas une analyse coût-bénéfice sérieuse. On ne peut pas accepter de détruire un bien ou de dépenser des sommes considérables pour des bénéfices non démontrés et non garantis. Ces études ne sont donc pas considérées comme recevables, leur conclusion ne saurait servir de base à des choix éclairés d’aménagement.

Blocage n°5 : gouvernance très peu démocratique, absence des associations dans les instances de concertation, décision et programmation
À l’échelle nationale, les fédérations de moulins ou de riverains n’ont été que très peu associées aux décisions sur la continuité depuis 10 ans. À l’échelle de bassin, elles sont exclues des Comités de bassin et ne figurent pas dans les commissions techniques qui définissent la programmation des travaux en rivières pour les SDAGE. Les travaux de ces commissions (C3P, Comina, etc.) sont opaques, rarement rendus publics (et quand ils le sont, on s’aperçoit d’un déficit scientifique et démocratique manifeste dans les échanges préparatoires aux décisions). À échelle régionale ou départementale, nos associations ne sont pas sollicitées en amont pour l’élaboration des SRCAE ou des SRCE, ne sont pas conviées aux réunions de travail des MISEN, ne sont pas intégrées dans les comités de pilotage des projets de restauration (contrairement aux fédérations départementales de pêcheurs qui le sont par défaut), ne sont pas listées comme membres de droit des Commissions locales de l’eau des SAGE. Par ailleurs, les interventions sur ouvrage hydraulique négligent le plus souvent de convier à la réflexion préalable l’ensemble des riverains et usagers dans la zone d’influence du bief et/ou de la retenue (et non pas le seul propriétaire de l’ouvrage). Ajoutons que les données brutes et corrigées sur l’état biologique, physico-chimique, chimique et morphologique de chaque masse d’eau et pour chaque campagne de mesure sont très difficiles voire impossibles d’accès pour les citoyens (dispersion des bases, des formats, données manquantes) : or, une information complète, accessible et transparente est le fondement du débat démocratique sur l’environnement. Ces faits traduisent une gouvernance absolument déplorable : non seulement on décide une politique d’effacement des ouvrages ou d’imposition de travaux d’aménagement à coût exorbitant, mais on le fait de surcroît sans que les principaux intéressés aient la possibilité de s’informer, de débattre, de donner leur avis, de vérifier les impacts réels ou de proposer des alternatives.

Blocage n°6 : doutes scientifiques sur le bien-fondé de la réforme, sentiment de précipitation et lourdes incertitudes sur les résultats
Nos associations ont organisé une veille scientifique sur la question de l’écologie des rivières. Ses résultats montrent un décalage important entre le ton prudent, parfois critique, des chercheurs et les affirmations pleines de certitudes de la communication grand public des Agences de l’eau ou de l’Onema. Cette veille suggère que l’impact des ouvrages hydrauliques sur la qualité piscicole et sédimentaire reste faible (par exemple Van Looy et al 2014Villeneuve et al 2015 en France, nombreux autres travaux européens ou nord-américains), ne justifiant pas des solutions aussi radicales que les destructions, en même temps que ces ouvrages présentent des intérêts au plan de la qualité de l’eau (par exemple l’épuration chimique, Gaillard et al 2016 sur les pesticides, programme PIREN-Seine et innombrables travaux internationaux sur les nutriments). D’autres études pointent le manque de rigueur des chantiers de restauration physique de rivière et leur difficulté à avancer des résultats tangibles (par exemple en France Morandi et al 2014Lespez et al 2015). Aucune de ces recherches (nous ne citons ici que des publications françaises et récentes) n’affirme bien sûr que la continuité écologique ou la restauration morphologique est sans intérêt ; mais la plupart convergent sur l’importance des travaux préparatoires proprement scientifiques (ce que ne furent pas du tout les classements administratifs de 2012-2013), sur le rôle des analyses d’impacts de bassin versant comme conditions limitantes du succès de la restauration physique, sur l’utilité des modèles (presque jamais employés en France) pour prioriser les sites d’intérêt, sur la nécessité de la prise en compte des données d’histoire de l’environnement (dynamique sédimentaire et biologique de long terme), sur la nécessité d’associer les populations locales et les parties prenantes, etc. Quant au «recueil d’expériences de l’Onema» mis en avant par le Ministère, il est constitué d’appréciations subjectives d’experts et d’administratifs, pas de travaux de chercheurs ni d’études quantitatives sur les résultats réels des travaux de restauration. Ces lectures nous amènent à la conclusion désagréable que le classement massif de rivières s’apparente à une logique douteuse d’« apprentis sorciers » où, au lieu d’étudier au préalable et de manière approfondie un échantillon de quelques dizaines à centaines de projets (étude incluant un suivi écologique de long terme, mais aussi les sciences humaines et sociales pour le versant de la gouvernance), on se précipite à engager des milliers de chantiers sans aucune certitude sur leurs résultats individuels comme sur les effets cumulatifs. Enfin, le classement de continuité a été découpé «à la carte» pour épargner dans bien des cas les grands barrages (beaucoup à gestion publique) des tronçons, alors qu’ils devraient être les premiers ciblés au regard de leur impact piscicole et sédimentaire bien plus établi par la recherche scientifique que ceux des modestes seuils et chaussées de moulin, quant à eux très peu étudiés.

*
Bien des points ici énumérés figuraient déjà dans votre premier rapport de 2012 consécutif aux problèmes rencontrés à partir du PARCE 2009. Ce rapport n’a pas été suivi d’effet pour la plupart de vos recommandations. Les conflits actuels sont la conséquence de cette inertie. De notre point de vue, ils ne pourront cesser que si l’administration revient au texte de la loi, cesse de promouvoir une politique destructive des ouvrages, ré-évalue le bien-fondé du classement et recherche des solutions viables, en particulier sur le point noir du financement des solutions de franchissement. Toute autre option, notamment des mises en demeure préfectorales aux dates échéances des classements, se traduirait par des contentieux auxquels nos associations ont hélas ! dû se préparer.

Ajoutons pour finir que nous doutons de la capacité des représentants actuels de la Direction de l’eau et de la biodiversité en charge des ouvrages hydrauliques à engager ces évolutions nécessaires : ils ont méprisé les objections des représentants des moulins et riverains depuis 10 ans, ils ont ignoré l’essentiel de vos recommandations depuis 3 ans, ils ont donné des informations biaisées et largement incomplètes aux parlementaires, pourquoi agiraient-ils différemment dans les prochaines années ? La concertation demande une confiance mutuelle dans la bonne foi et la capacité d’écoute de l’interlocuteur : cette confiance n’existe plus aujourd’hui sur la question des ouvrages hydrauliques.

Nous vous remercions par avance de refléter dans votre rapport la réalité du point de vue de nos associations, condition d’un diagnostic objectif des blocages et d’une recherche efficace des moyens de les surmonter.

Avec nos respectueuses salutations.

Signataires
Association de Sauvegarde du Bassin de la Seiche et de ses affluents - Association de la Vègre, des Deux-Fonts et de la Gée - Association de défense des riverains de la Colmont et de ses affluents - Association des Amis et de la Claise et de ses affluents - Association des riverains de la Jouanne et du Vicoin - Association de Sauvegarde et d'Animation du Moulin de Lançay - Association des Amis et de Sauvegarde des Moulins de la Mayenne - Collectif des Moulins et Riverains du Morbihan - Association des Amis des Moulins du Cher - Association de Sauvegarde des Moulins et Rivières de la Sarthe - Association des Riverains de l'Erve de la Vaige et du Treulon - Association pour la Sauvegarde de la Dives - Association de Sauvegarde des Moulins à eau du Loir-et-Cher - Association Blaise 21 - Association de Sauvegarde des Moulins de l'Anjou - Association des Riverains et Propriétaires de Moulins du Bassin du Loir Amont - Association Chailland sur Ernée - Comité d'Action et de Défense des Victimes des inondations du Loir - Association de Défense et de Sauvegarde de la Vallée de l'Oudon - Association des Moulins du Morvan et de la Nièvre - Association des Moulins de Touraine - Association des Moulins et Riverains des Côtes d'Armor - Collectif des Riverains et des Moulins de Bretagne -  Association Départementale des Amis des Moulins de l'Indre - Association des Rivières et Acteurs des Moulins de Basse Normandie et 35 -  Association des Moulins du Poitou -  Association au Cours de l'Eure – Association de Sauvegarde des Moulins de la Loire - Association les Amis des Moulins de l’Orne - Association des Amis des Moulins de Loire-Atlantique – Aproloing – Association des Riverains et Propriétaires d’ouvrages hydrauliques du Châtillonnais - Association des Amis des Moulins d'Ile-de-France - Hydrauxois

A nos lecteurs
Nos députés et sénateurs sont en train d'examiner les lois Patrimoine et Biodiversité, deux textes susceptibles de faire évoluer la réforme de continuité écologique dans un sens plus respectueux du patrimoine. Par ailleurs, les parlementaires souffrent d'un manque d'information sur ces problèmes très pointus, et ils reçoivent des réponses floues voire inexactes du Ministère quand ils l'interrogent. Nous vous demandons donc de télécharger le texte de cette lettre (ici en pdf) et de l'envoyer à vos élus à l'Assemblée nationale et auSénat, en ajoutant le commentaire de votre choix. Aujourd'hui, des milliers d'ouvrages hydrauliques sont menacés de destruction, leur avenir dépend avant tout de votre mobilisation. Prenez quelques minutes pour agir et stopper le ballet destructeur des pelleteuses: nos moulins et nos rivières le méritent. Merci d'avance.

Aux associations non-signataires
Tout le monde n'a pu être contacté dans les délais impartis, les premiers signataires viennent des réseaux Loire-Bretagne et Seine-Normandie ayant déjà mené des actions communes. Si vous partagez les constats de ce texte, vous pouvez bien sûr nous le signaler par courrier électronique (nous ajouterons votre nom à la liste) ou reprendre librement le texte ci-dessus pour un usage local, en vous y associant.

A lire en complément
Le CGEDD avait produit en 2012 un premier rapport suite au nombreux problèmes nés du Plan de restauration de la continuité écologique (PARCE) de 2009. Ce rapport contenait plusieurs propositions intéressantes... qui n'ont jamais été suivies d'effet dans la mise en oeuvre du classement en 2012-2013.  Combien de temps va-t-on repousser de rapports en rapports les décisions nécessaires?

22/05/2016

Tonnerre, Avallon, Belan-sur-Ource... les effacements d'ouvrages continuent de plus belle

Le 9 décembre 2015, Ségolène Royal avait demandé aux Préfets de ne pas insister sur les effacements de seuils de moulin, en attendant les recommandations du CGEDD pour comprendre les meilleurs moyens de sortir des blocages. Peine perdue, les établissements de rivière ou de bassin (ici Sirtava, Sicec, Parc du Morvan) continuent leur programme méthodique de destruction du patrimoine hydraulique dans les rivières classées au titre de la continuité écologique. Un gâchis d'argent public, pas même capable de promettre un gain écologique concret, entretenant l'illusion abêtissante d'une "renaturation" de rivières anthropisées depuis des millénaires et chimiquement altérées depuis 50 ans. 




Nous avons exposé dans le cas de Tonnerre le caractère absurde de ces travaux au regard de la qualité IPR du cours d'eau et de son peuplement piscicole (voir l'ensemble des articles), nous avions longuement étudié le cas du Cousin, où les truites n'ont pas souffert historiquement des moulins et où le patrimoine de la ville d'Avallon est classé en ZPPAUP (voir l'ensemble des articles), nous avions évoqué à Belan-sur-Ource la diversité écologiquement intéressante des écoulements créés par les ouvrages répartiteurs (voir cet article). Les mêmes pratiques s'observent partout : étude préparatoire à charge, répétition du catéchisme sans analyse de biodiversité locale, absence d'objectif écologique précis, régime de responsabilité peu clair en cas de troubles liés au changement local des écoulements, prime à la casse du patrimoine et du paysage, acharnement sur des petits ouvrages sans impact réel, voire à effet positif, quand les grands barrages n'ont pas de projet. On jette l'argent public par les fenêtres pour des opérations cosmétiques décidées au nom de dogmes. Nous appelons évidement les riverains et les amoureux du patrimoine à participer aux trois enquêtes publiques.

Effacement de deux ouvrages à Tonnerre (Sirtava) - Enquête publique relative à l'effacement de deux ouvrages hydrauliques (services techniques et Bief Saint-Nicolas) du vendredi 3 juin 2016 au mardi 5 juillet 2016 inclus en mairie de Tonnerre. Le commissaire-enquêteur reçoit en mairie de Tonnerre, les 3 juin 2016 de 9 à 12 heures ; 18 juin 2016, de 9 à 12 heures ; 28 juin 2016, de 14 à 17 heures ; 5 juillet 2016, de 14 à 17 heures.

Effacement total ou partiel de trois ouvrages à Avallon (Parc du Morvan) - Enquête publique relative à l'aménagement de trois ouvrages hydrauliques (Moulins-Nageotte, Poichot et Mathey) du lundi 6 juin 2016 au jeudi 7 juillet 2016 inclus en mairie d'Avallon. Le commissaire-enquêteur reçoit en mairie d'Avallon, les  lundi 6 juin 2016, de 9 à 12 heures ; mardi 14 juin 2016, de 9 à 12 heures ; samedi 25 juin 2016, de 14 à 17 heures ; jeudi 7 juillet 2016, de 14 à 17 heures.

Effacement d'un ouvrage à Belan-sur-Ource (Sicec) - Enquête publique relative à l'effacement de l'ouvrage Massard à Belan-sur-Ource du 14 juin au 16 juillet inclus en mairie de Belan-sur-Ource. Le commissaire-enquêteur reçoit en mairie de Belan, les 16 juin de 09:30 à 12:30, 27 juin de 14 à 17 heures, 11 juillet de 09:30 à 12:30.

Illustration : moulin de Belan-sur-Ource.

18/05/2016

Embâcles et bois morts: faut-il toujours les retirer?


Retirer les embâcles de la rivière figure de très longue date parmi les obligations du riverain. Ces amas de bois morts modifient l'érosion et le régime des inondations, pouvant occasionner des risques pour les biens et personnes. Pourtant, du point de vue écologique, on reconnaît des vertus aux embâcles et certains projets de gestion de rivière prévoient même l'ajout volontaire de débris ligneux. Un point sur la question.

On appelle embâcle des amas de débris ligneux et bois morts qui se forment sur les rivières. Les branches et parfois les troncs tombent dans la rivière suite à une mortalité naturelle ou à certains épisodes météorologiques. Les embâcles de grande taille ont un poids qui excède la capacité d'entraînement du courant et restent sur place. Les débris de plus petite taille sont emportés par le flot mais tendent à se bloquer dans certaines zones : rochers émergents, seuils naturels, chaussées ou barrages, écluses, ponts, etc.


La position longtemps dominante de l'administration et du gestionnaire a consisté à exiger un retrait de tous les embâcles en rivière. En France, l'article L 214-14 du Code de l'environnement continue de présenter l'"enlèvement des embâcles" comme une obligation du riverain des cours d'eau non domaniaux, avec désormais des motivations environnementales pas toujours très lisibles  :
"le propriétaire riverain est tenu à un entretien régulier du cours d'eau. L'entretien régulier a pour objet de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre, de permettre l'écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique ou, le cas échéant, à son bon potentiel écologique, notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives."
Comme nous allons le voir, ces injonctions sont devenues quelque peu contradictoires, car le déséquilibre local créé par les embâcles fait partie de l'écoulement normal d'une rivière (de même que des bancs d'atterrissement). Par son empressement à ajouter de "l'écologique" dans un maximum de textes, le législateur manque parfois de précision ou de cohérence.

Pourquoi tend-on à retirer les embâcles?
La motivation à retirer des embâcles peut venir de l'aspect esthétique et paysager : certains riverains n'aiment pas l'impression de "négligé" des amas anarchiques de branches et demandent aux syndicats de les retirer. Elle peut aussi être liée aux besoins de certains usagers. Par exemple, les moulins et usines hydro-électriques risquent de voir les biefs, les prises d'eau de conduite ou les grilles de chambre d'eau obstrués de bois mort, ce qui crée des pertes de charge et d'exploitation. Dans ce cas précis, les embâcles sur un seuil ou un barrage peuvent aussi élever la lame d'eau au-dessus du niveau légal autorisé, ce qui est interdit. Enfin, en milieu urbain, le ruissellement sur sols artificialisés augmente les risques liés aux crues, et il est indispensable pour la sécurité que tous les exutoires soient non encombrés pour permettre la bonne évacuation des eaux.

Au-delà de ces cas particuliers, la perturbation des embâcles pose deux types de problème hydraulique : l'inondation et l'érosion.

L'inondation tient au fait que les embâcles, s'ils barrent totalement le lit des petits cours d'eau, vont avoir pour effet d'augmenter la hauteur d'eau à l'amont. Il peut alors y avoir débordement des berges et déversement dans les propriétés riveraines, qui font office de champ d'expansion de la rivière, particulièrement en crue. On notera que l'augmentation du risque à l'amont diminue le risque à l'aval, car les embâcles limitent le débit de pointe et lamine la crue. Le même type de problème est posé par les barrages de castors dans les zones colonisées par cette espèce.

L'érosion dépend de la géométrie locale des embâcles. Quand ceux-ci ne bloquent que partiellement le cours d'eau, la section restant libre voit une accélération du flot (effet Venturi). Si l'embâcle dirige ce flot accéléré vers une berge (ou une construction comme une pile de pont), il augmente l'érosion et peut donc dégrader le foncier ou le bâti.

Des intérêts écologiques avérés
Malgré ces problèmes, la représentation des embâcles a changé au cours des dernières décennies. On a même vu parfois des gestionnaires recharger artificiellement des rivières en débris ligneux. La raison en est que les embâcles présentent des intérêts écologiques :

  • en modifiant localement la vitesse, la hauteur et la granulométrie, les embâcles créent une mosaïque de micro-habitats dans les petites rivières; 
  • dans les cours d'eau aval, les embâcles peuvent faire émerger des habitats plus importants (mésoformes) comme des bras, des tresses ou des îles, dont l'intérêt pour la biodiversité est établi;
  • les zones calmes à l'amont des embâcles servent d'abri ou de refuge (repos lors de migration piscicole notamment), et les mouilles assez profondes en été peuvent avoir un intérêt thermique et hydrologique à l'étiage;
  • les débris ligneux et bois pourris alimentent une faune spécialisée d'invertébrés.

On notera au passage que certains avantages écologiques liés aux obstacles formés par les embâcles sont aussi valables pour des petits seuils de moulins et leur bief dérivé.

Comme souvent sur les questions d'eau et de milieux aquatiques, il est donc difficile d'édicter des règles homogènes. La ligne de partage semble ici définie par le risque de dommage sur les personnes et les biens : si ce risque est avéré, la gestion des embâcles doit éviter la perturbation locale de l'écoulement, surtout en crue. S'il n'y a pas d'enjeux de riveraineté (friches, vallées encaissées et non peuplées), laisser tout ou partie des embâcles à la rivière paraît préférable. En prenant tout de même garde au fait qu'une forte crue tendra à emporter les flottants laissés dans le lit, et représentera donc une charge solide conséquente à gérer vers l'aval. Enfin, l'avis des riverains est un paramètre à prendre en compte : le cours d'eau répond à des attentes sociales, pas seulement à des impératifs écologiques.

Lectures : Piégeay H et al (2005), Les risques liés aux embâcles de bois dans les cours d’eau : état des connaissances et principes de gestion, TEC&DOC et Lavoisier in Bois mort et à cavité, une clé pour des forêts vivantes, oct 2004, Chambéry, France. pp.193-202 ; Maridet L et al (1996), L'embâcle de bois en rivière : un bienfait écologique ? un facteur de risques naturels ?, Houille Blanche, 96 5., 32-37

Illustrations : embâcles encastrés sur une pile de pont (Kenneth Allen CC BY SA 2.0), déposés en berge (Franzfoto CC BY SA 3.0), dans le lit d'une rivière du Morvan (Hydrauxoi