05/08/2017

Exemption de continuité des sites producteurs: l'administration contourne de nouveau la loi pour harceler les moulins

En février dernier, une loi adoptée par le Parlement a permis une dérogation à la continuité écologique pour le cas des moulins producteurs ou en projet de productionsur les rivières classées liste 2 au titre de l'article L 214-17 CE. La direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de la Transition écologique et solidaire a procédé comme elle le fait d'habitude: en produisant une note d'interprétation qui vide cette loi de sa substance et qui incite l'administration de l'eau à imposer ce qu'elle veut – même en rivière non classée! Déjà, la même administration encourage depuis 10 ans la scandaleuse destruction à la chaîne des ouvrages anciens, une option qui n'a jamais figuré dans la loi sur l'eau de 2006. Face à ce mépris du texte et de l'esprit des lois, on atteint manifestement un point de non-retour. Il n'y aura pas d'autre issue qu'une refonte substantielle et non superficielle des dispositions de continuité, nourrissant partout des conflits et contentieux. Dès à présent et régulièrement au cours des prochains mois, il est donc indispensable de saisir vos députés et sénateurs de chaque problème, en demandant qu'ils interpellent Nicolas Hulot sur les mesures qu'il compte prendre pour mettre un terme au processus des destruction des ouvrages et de harcèlement de leurs propriétaires. Ci-après, commentaires de cette note ministérielle sur le cas des moulins producteurs et premiers courriers-types de réponse pour les propriétaires confrontés au problème (à terme, un avocat est conseillé pour vous accompagner).



Le texte produit par le ministère de la Transition écologique et solidaire peut être téléchargé à ce lien. Il s'agit d'une note d'instruction envoyée à tous les services déconcentrés de l'Etat, sans date car en projet, mais circulant déjà dans les DDT-M, Dreal et services AFB.

Quelques commentaires sur les extraits notables.

"Il convient de ne plus exiger d’interventions relatives à la restauration de la continuité écologique sur le fondement du classement en liste 2 du L.214-17 CE sur les ouvrages suivants :
1. Un moulin d’ores et déjà autorisé à produire de l’électricité au 26 février 2017, en fonctionnement, qui n’a pas encore fait l’objet d’un aménagement, équipement ou d’une gestion en vue d’assurer la circulation piscicole et le transport suffisant des sédiments ;
2. Un moulin autorisé, sans usage énergétique, pour lequel un projet de remise en exploitation ou d’équipement pour la production électrique a été porté à la connaissance de l’autorité administrative avant le 26 février 2017."

La note du ministère prétend que le projet de production électrique doit être existant au moment où la loi est parue au Journal Officiel. C'est absurde : cette précision est absente de la loi et si les parlementaires l'ont votée, dans le cadre de l'autoconsommation et de la transition énergétiques, c'est justement pour encourager l'équipement futur des sites en évitant des frais exorbitants.

"Il convient toutefois de rappeler que d’autres dispositions législatives relatives à l’eau continuent de s’appliquer aux moulins visés par ce L.214-18-1, qui peuvent être mobilisées dans les cas où la restauration de la migration piscicole notamment, présente un enjeu pour le respect des engagements internationaux ou européens de la France en matière de préservation ou reconquête de la biodiversité.
Ces dispositions législatives sont, notamment :
- le L.210-1 du code de l’environnement, qui précise que l’utilisation, la valorisation de la ressource en eau, dans le respect des équilibres naturels, est d’intérêt général ;
- le L.211-1, qui précise que la gestion équilibrée et durable de l’eau vise la préservation et la restauration des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides et qui, comme le précise le Conseil d’État dans la décision du 22 février 2017 (cf note de bas de page n°8), fait de l’obligation d’assurer la continuité écologique sur les bassins versants un objectif de la gestion équilibrée et durable de l’eau dont l’autorité administrative doit assurer le respect sur l’ensemble des cours d’eau"

L'administration contourne l'esprit de la loi en expliquant que même si un moulin produit de l'électricité en rivière classée L2 au titre du L 214-17 CE, il sera possible de ne pas donner suite à  l'exemption de continuité en se réclamant d'un autre article du code de l'environnement. A noter que les articles cités (L 210-1 CE, L 211-1 CE) permettraient d'imposer la continuité sur n'importe quel ouvrage de n'importe quelle rivière, de sorte que le classement spécifique du L 214-17 CE perd tout son sens. A quoi bon cibler des rivières pour la continuité si l'administration l'estime désormais exigible partout?

"Il conviendra donc de prendre toutes les prescriptions vis-à-vis de la migration des espèces concernées à la montaison comme à la dévalaison, nécessaires au respect des engagements internationaux et européens particuliers, indépendamment du classement du cours d’eau en liste 2 du L.214-17 et de la dérogation organisée par le L.214-18-1.
Vous pourrez établir ces prescriptions sur la base des outils réglementaires suivants :
- le R181-45 du code de l’environnement (ex-R.214-17) qui permet à l’autorité administrative d’exiger, de manière motivée, un complément d’analyse de l’impact de l’ouvrage
sur la migration des espèces concernées et une proposition de modification de l’ouvrage ou de sa gestion le cas échéant nécessaire à la réduction suffisante de cet impact au regard de l’enjeu9 ;
- le II du R181-46 (ex-R214-18) : en cas de modification d’un moulin déjà remis ou toujours en exploitation, qui impose de porter à la connaissance du préfet les modifications prévues sur une installation existante, dont les modifications de modalités d’exploitation ou de mise en œuvre, avec tous les éléments d’appréciation ;
- le R.214-18-1 qui impose que le confortement, la remise en eau ou la remise en exploitation de moulins soient portés à la connaissance du préfet avec tous les éléments d’appréciation nécessaires ;
- l’arrêté de prescriptions générales relatives à la rubrique 3.1.1.0 du 11 septembre 2015, qui précise notamment le contenu des éléments d’incidences à apporter en cas de modification d’exploitation d’installations ou ouvrages existants et de confortement, remise en eau ou en exploitation de droits anciens.
L’autorité administrative a ainsi, en toute hypothèse, les moyens d’établir les prescriptions nécessaires au respect de la gestion équilibrée de l’eau définie au L.211-1 et des engagements internationaux et européens de la France pour la reconquête de la biodiversité aquatique."

Cette longue liste expose les réglementations complexes, nombreuses et opaques accumulées depuis 10 ans qui permettent en substance à l'administration de demander ce qu'elle veut, sans aucun souci de réalisme économique et généralement sans aucune étude objective de l'hydro-écologie en dehors de quelques espèces de poissons.

"l’installation est régulièrement installée ; cela signifie qu’elle est en situation régulière au regard de la police de l’eau et des milieux aquatiques (au-delà d’être «autorisée», elle respecte les prescriptions particulières le cas échéant d’ores et déjà établies par arrêté préfectoral)"

Cette précision signifie là encore que l'administration conserve la possibilité d'imposer ce qu'elle veut en "prescriptions particulières", donc par exemple d'imposer la continuité… alors que l'article de loi visait à déroger à son obligation ! Kafkaïen.

Premiers modèles de courriers de réponse

Rappel : tout courrier à l'administration s'envoie en recommandé avec AR, en conservant le courrier et le récépissé pour des procédures ultérieures.

Si l'administration met en avant le fait que votre projet de production hydro-électrique est postérieur au 26 février 2017

Madame, Monsieur,

Lorsque les députés et sénateurs ont voté la loi n°2017-227 du 24 février 2017, ils n'ont jamais précisé que la dérogation à la continuité écologique en rivières classées au titre du L 214-17 CE ne devait concerner que les moulins équipés ou en en projet d'équipement avant la loi.

Cette mention est absente du texte, dont l'objectif est au contraire de favoriser pour l'avenir (et non le passé!) la transition énergétique et l'autoconsommation.

Je suis donc en désaccord avec votre interprétation et j'estime que mon projet de production hydro-électrique vaut dérogation à l'obligation de continuité au titre du 2° du I du L 214-17 CE.

Je vous rappelle en tout état de cause que cet article L 214-17 CE ouvre droit à indemnité pour la mise en conformité à la continuité écologique (contrairement à la loi de 1984 que la loi de 2006 a remplacé sur ce point), donc que vos services devraient me fournir un plan d'indemnisation lorsqu'ils exigent un dispositif de franchissement représentant une charge spéciale et exorbitante. De la même manière, c'est à vos services (et non au propriétaire ou à l'exploitant) que la loi impose expressément de définir des règles de gestion, équipement et entretien.

A tout point de vue, je ne puis donc faire suite à vos demandes et je vous prie par la présente d'en reconsidérer les attendus.

Je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, l'expression de mes meilleurs sentiments.

Si l'administration met en avant un autre texte de loi que le L 214-17 CE (en général, le L 211-1 CE)

Madame, Monsieur,

Les députés et sénateurs ont voté la loi n°2017-227 du 24 février 2017 pour exempter les moulins producteurs d'électricité des obligations de continuité écologique.

Vous souhaitez contourner cette loi en invoquant d'autres textes du code de l'environnement, visant à m'imposer l'obligation d'un dispositif de franchissement.

Il s'agit là toutefois d'une procédure entièrement nouvelle, puisque ne relevant plus du L 214-17 CE, et de son classement spécifique.

Dans le cadre normal de la procédure contradictoire, je vous prie donc de me fournir par retour de courrier les éléments démontrant que la mesure demandée par vos services est fondée sur des problèmes écologiques proportionnés aux contraintes et aux coûts, en particulier et dans un premier temps :
- relevés piscicoles amont et aval de l'ouvrage démontrant l'existence d'un problème,
- relevés sédimentaires amont et aval de l'ouvrage démontrant l'existence d'un problème,
- garantie que la mesure ne favorisera pas la colonisation d'espèces invasives vers l'amont,
- garantie que la mesure n'affectera pas la diversité faune, flore et fonge du site en l'état actuel de ses écoulements et peuplements,
- garantie que la mesure respecte la dimension paysagère et patrimoniale du site,
- garantie que la mesure ne remet pas en cause l'équilibre actuel des écoulements, la stabilité des berges et du bâti, la consistance légale autorisée du bien,
- estimation du coût de la mesure et plan d'indemnisation par l'Etat.

Au regard des pratiques couramment observées sur les rivières, un diagnostic écologique de site coûte des milliers à des dizaines de milliers d'euros pour un particulier, et un chantier de continuité peut atteindre des centaines de milliers d'euros. L'obligation de surveillance et d'entretien est également lourde. De tels travaux, qui relèvent de l'intérêt général, ne sont pas envisageables pour un particulier sans une aide publique conséquente. Et je ne peux en tout état de cause engager la moindre initiative sur la base d'un simple courrier de votre part, sans que vous ayez caractérisé la nécessité et la proportionnalité d'une mesure de police aussi exceptionnelle au droit de mon ouvrage.

Je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, l'expression de mes meilleurs sentiments.

Modèle de lettre d'accompagnement aux députés et sénateurs de votre département (indispensable pour alerter le ministre de tutelle de la direction de l'eau et faire cesser au plus vite les dérives intégristes de la continuité)

Madame / Monsieur la / le Député(e)
Madame / Monsieur la / le Sénatrice/eur,

Comme vous le savez sans doute, la réforme dite de "continuité écologique" pose des problèmes majeurs, qui ont été relevés par deux rapports d'audit du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD 2012, CGEDD 2016). Le second rapport du CGEDD, rendu public voici quelques mois, montre l'ampleur des difficultés : plus de 20000 ouvrages hydrauliques à aménager, un coût public moyen dépassant les 100 k€ par ouvrage (2 milliards d'euros au total) sans compter la part restant due par le maître d'ouvrage, 85% des ouvrages orphelins de solution alors que le délai de 5 ans est échu ou sur le point de l'être, une pression de l'administration en faveur des solutions de destruction réprouvée par les propriétaires et riverains, un défaut général de concertation ou une réduction de cette concertation à un monologue à sens unique avec, au final, la volonté d'imposer des solutions non consenties.

Des réformes législatives ont été votées en 2016 et 2017, mais elles sont insuffisantes par rapport à la gravité des problèmes et des retards. L'administration a par ailleurs produit des interprétations tendancieuses de ces évolutions législatives qui, pour l'essentiel, en neutralisent l'intérêt et donc reconduisent le blocage observé par le CGEDD.

Ainsi, alors que les parlementaires avaient voté en février 2017 l'exemption de continuité écologique pour les moulins équipés pour produire de l'hydro-électricité (loi n°2017-227 du 24 février 2017), la Préfecture vient de me notifier son refus d'appliquer la loi, au prétexte que d'autres dispositions du code de l'environnement lui permettent de poser les mêmes exigences – dont le coût est hélas exorbitant et hors de ma portée.

Je sollicite votre écoute et votre compréhension pour saisir M. Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, de ce problème et pour demander que l'administration en charge de l'eau cesse des interprétations de la loi qui la rendent inapplicables et qui provoquent d'innombrables conflits au bord des rivières.

Les dernières élections ont été dominées par le problème de la défiance des citoyens vis-à-vis de l'efficacité, de la probité et de l'équité de l'action publique : la continuité écologique est hélas l'un des nombreux exemples où l'Etat semble avoir perdu tout bon sens et toute humanité.

Vous remerciant par avance de votre sensibilité à cette question et des initiatives que vous pourrez prendre pour essayer de sortir de cette impasse, je vous prie de recevoir, Madame / Monsieur la / le Député(e), Madame / Monsieur la / la Sénatrice/eur, l'expression de mes meilleurs sentiments.

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